
Qui se cache derrière le mot « pirate » ? Bernard Cerquiglini et Henriette Walter nous dévoilent ce mystère.
Proposé par Dis-moi dix mots le 27/10/2016
Bernard Cerquiglini
(linguiste français)
« Homme libre, toujours tu chériras la mer ».
Gentilhomme de fortune, boucanier, flibustier ; pirate.
Comme le corsaire, tu pratiques la course, qui capture les navires de rencontre. Mais lui n’est qu’un domestique chez les forbans, appointé royal.
Gabier, tu t’es affranchi de l’enfer des équipages, pour hisser le drapeau rebelle, élire ton capitaine, courir hardiment les plus longues bordées. L’océan est vaste, qui offre à ta convoitise l’insouciance des vaisseaux pansus ; la Caraïbe te recèle, bercé de ses rêves et de ses alizés.
Tu es certes un brigand (peïratès, en grec) de la pire espèce, que traquent toutes les polices maritimes. Ta vie est certes dure, dangereuse et surtout brève : la potence londonienne est déjà dressée ; tu ne la feras pas attendre.
Mais tes quelques mois de course, entre 1690 et 1725, âge d’or (et de joyaux) de la piraterie, exaltent nos rêves.
Ils font des émules, désormais, qui naviguent sous d’autres voiles : sur la Toile.
Aventurier des mers, frère de la Côte, prince libertaire et capitaine frondeur, tu as su cacher dans les plis de ton pavillon funeste le plus précieux des trésors : l’amour de la liberté.
Henriette Walter
(linguiste française)
Ce nom se confond à l’origine avec les débuts mêmes de la navigation, et commence d’ailleurs dans l’atmosphère d’insécurité des premiers voyages en mer.
Il évoque en effet tout d’abord les dangereuses expéditions pleines d’aléas de l’ancien temps, avec le risque d’y rencontrer ces bandits qui sillonnaient les mers et les océans, et qui ne reculaient devant aucune violence pour piller et voler les embarcations qu’ils assaillaient. Ces pirates, on se les représentait volontiers avec des visages balafrés et un bandeau noir sur un œil, et on regardait en tremblant leurs drapeaux noirs ornés de têtes de morts – comme s’ils voulaient prouver ainsi qu’ils ne faisaient pas de prisonniers.
Un détail qui a son importance : les pirates étaient totalement « hors la loi », et il ne faudrait pas les confondre avec les corsaires, dont les méthodes étaient les mêmes, mais qui, tels Jean Bart ou Robert Surcouf, agissaient au nom du roi. Ces derniers étaient reconnus comme force militaire auxiliaire pour attaquer tout navire et s’emparer de toute cargaison d’un pays étranger en guerre.
En fait, qu’il s’agisse de corsaire ou de pirate, le terme renvoyait à l’origine aux attaques en mer, alors qu’au cours du temps, pirate a peu à peu couvert un domaine plus vaste : il s’est étendu à toutes sortes d’attaques, non seulement en mer mais aussi sur terre et dans les airs.
Sur la terre ferme, on a également connu les pirates de la route, que l’on appelait autrefois les brigands des grands chemins, et, plus tard, ce sont les pirates de l’air qui ont tenu le devant de la scène : ceux-là cherchaient, cette fois, non pas à piller ou à voler, mais à détourner les avions en vol.
Ces agissements remontent donc à des temps très anciens, mais le nom pirate n’est attesté en français que depuis le XIIIe siècle. Il donnera plus tard naissance à toute une famille lexicale : piraterie, piratage, pirater, des mots qui sont encore très proches du nom latin pirata, leur point de départ.
Pourtant, en latin, il n’y avait pas de mot spécifique pour désigner ce type de brigand des mers, que l’on nommait simplement praedo maritimus, autrement dit, « prédateur des mers ». Ce n’est qu’à partir de Cicéron que l’on trouve pirata dans des textes latins : c’était un emprunt au grec peiratês, lui-même formé sur le verbe peirân « tenter, assaillir », dérivé de peira “tentative”.
Enfin, la dernière tentative en date de ces prédateurs sans scrupules est dramatiquement illustrée de nos jours par l’irruption soudaine, dans nos ordinateurs, du pirate informatique. Ce pirate d’un nouveau genre semble s’avancer tel un bandit masqué, habile à s’infiltrer, incognito, dans un programme d’ordinateur, afin de s’approprier toutes sortes de biens de nos fichiers informatiques : en copiant des œuvres littéraires ou musicales sans respecter les droits d’auteur, en détournant à son profit, sur Internet, des sommes d’argent que l’on croyait, à tort, sécurisées, ou même en usurpant une identité, pour l’utiliser à son profit.
La notion couverte par pirate a donc acquis de nos jours un niveau jamais atteint : jusqu’à se faire une place de choix dans le monde virtuel, désormais devenu une des composantes essentielles de notre environnement quotidien.
Qui se cache derrière le mot « pirate » ? Bernard Cerquiglini et Henriette Walter nous dévoilent ce mystère.
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